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Yves BONNEFOY, dans sa leçon inaugurale de la chaire d’Etudes comparées de la Fonction poétique au Collège de France, soulignait l’importance de l’image dans l’intuition poétique, définie comme « impression de réalité enfin pleinement incarnée qui nous vient, paradoxalement, de mots détournés de l’incantation » (1).

C’est alors « l’éclat qui manque à la grisaille des jours, mais que permet le langage qui le recourbe sur soi, quand le pétrit comme un sein natal, la soif constante du rêve ».

Mais cette image est elle-même à la source de l’ambiguïté dans laquelle s’accomplit l’inspiration poétique. Quel rapport existe-t-il entre l’image de la photographie et celle du rêve, du conscient et de l’inconscient ? ; le terreau qui la nourrit est-il la réalité des choses et des êtres ou bien les étendues de notre propre imaginaire qui aurait son autonomie et son vécu dans l’infini de notre conscience.

La poésie du XXème siècle a fait le grand écart entre ces deux mises en perspective.

Ainsi, Francis PONGE va réincarner les objets les plus banals en leur conférant une existence par le langage poétique, les mots devenant alors « conducteurs de l’esprit (comme on dit conducteur de la chaleur et de l’électricité) ». Les choses sont alors œuvre de l’esprit du poète : « c’est aux objets, aux choses du temps que je rapporte mon bonheur lorsque l’attention que je leur porte les forme dans mon esprit comme des compos de qualité, de façon de - se – comporter propres à chacun d’eux, forts inattendus, sans aucun rapport avec nos propres façon de nous comporter jusqu’à eux. Alors ô vertus, ô modèles possibles – tout à coup, que je vais découvrir, où l’esprit tout nouvellement s’exerce et s’adore » (2).


A l’inverse, André BRETON part, non des images du réel, mais de celles du surréel qui meuble notre pensée.

Dans son Manifeste du surréalisme, il définit sa démarche comme un « automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ».

Et répond en écho Louis ARAGON dans le « Discours de l’imagination » : « je vous apporte un stupéfiant venu des limites de la conscience, des frontières de l’abîme… Le vice appelé surréalisme est l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image… ».

Mais les seules images ne sauraient suffire à l’accomplissement de l’inspiration poétique. Si l’image constitue l’abscisse du poème le son en est l’ordonnée Et cet axe prend naissance dans les silences et se poursuit dans la vérité des bruits.

La terminaison plurielle du mot silence peut paraître singulière. Mais le silence de la montagne n’est pas celui du désert, le silence de la nuit n’est pas celui du jour, le silence de la prière n’est pas celui de la solitude… Croire en un silence unique procèderait de la même erreur que celle consistant à définir l’eau comme un liquide incolore, inodore et sans saveur.

Et chaque chose, chaque être vivant, a ses bruits dont l’évocation est telle qu’ils renvoient à son image dont noter imagination dessine les contours. Luigi RUSSOLO reconnu comme le précurseur de la musique électronique, relève dans son Manifeste futuriste de 1913 (3) que la vie antique ne fut que silence, que le son avant alors une connotation divine, l’art également sacré recherchant la pureté limpide et douce du son.

Il observe que la musique a évolué parallèlement à la multiplication des machines et de leurs bruits pour devenir plus dissonante, plus stridente, plus complexe grâce à une vérité plus grande de timbres et de coloris instrumentaux.


Et de conclure avec un brun de provocation :
« BEETHOVEN et WAGNER ont délicieusement secoué noter cœur durant bien des années. Nous en sommes rassasiés. C’est pourquoi nous prenons infiniment plus de plaisir à combiner idéalement des bruits de tramways, d’autos, de voitures et de foule criardes qu’à écouter encore, par exemple, « l’ Héroïque » ou la « Pastorale ».

De même, la civilisation industrielle a, créant de nouveaux objets, inventant de nouveaux bruits, été source toujours plus féconde de l’inspiration poétique qui, singulièrement, épouse aussi le rythme des machines.

Ainsi, Drieu LA ROCHELLE, dans son poème « Auto » :
« Mon pied greffe un muscle à la pédale,
Ma main est au volant une liane.
L’auto allonge son ventre chaud au ras de la terre » (4).

Ou Léon-Paul FARGUE dans « La Gare » :
« J’ai longé tout un soir tes grands trains méditants,
Triangles vigilants, braises, bielles couplées,
Sifflets doux, percement lointain de courtillières…
Gare de ma jeunesse et de ma solitude,
Que l’orage parfois saluait longuement,
J’aurai longtemps connu tes regards et tes rampes ,
Tes bâillements trempés, tes cris froids, tes attentes… » (5).

Ou encore Pierre BEARN dans « Taylorisme » :
« La chaîne cliquette en dépliant ses vertèbres.
Cloc ! l’homme assis serre un écrou
Cloc ! Cloc ! et l’écrou fait glou-glou
Telles des gouttes d’eau tombant dans les ténèbres » (6).
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Ces expériences poétiques sont dans la tradition de BEAUDELAIRE dont l’œuvre prend la mesure de l’importance des bruits.

Ils donnent la profondeur aux choses :
« Les houles , en roulant les images des cieux
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux » (7).